LA RELATION INTER-HUMAINE
Gerard DONNADIEU
Ancien professeur à l'Université Paris 1 -Panthéon-Sorbonne-
Formalisée au plan mathématique par les américains Shannon et Weaver2 à des fins d'amélioration des transmissions téléphoniques, cette théorie est de facture rigoureusement analytique et causaliste, à l'image du modèle dominant dans les sciences de la matière.
Elle conçoit la communication comme un mécanisme cybernétique entre quatre entités distinctes : un émetteur et un récepteur reliés par un canal dans lequel circulent des messages.
CANAL
1.Principe d'extériorité ou de séparation :
les composants ne se compénétrent pas.
Le message est distinct de l'émetteur et du récepteur ainsi que du canal. Les éléments qui le composent sont discrets, chacun pouvant en dernière analyse se ramener à la forme binaire du oui/non, unité de mesure -en bit- de l'information transmise.
On dit que le message est digital.
2.Principe de séquentialité :
De ce fait, émetteur et récepteur ne sont pas, dans l'instant, en situation réciproque.
3.Principes de conservation et de dégradation de l'information :
ils sont complémentaires l'un de l'autre. L'objectif est la transmission parfaite, c'est à dire la conservation intégrale du message de l'émetteur au récepteur.
Mais des interventions extérieures peuvent venir contrarier cette conservation du message, introduisant dans celui-ci des impuretés que l'on appelle « bruits ». Le message perd alors en contenu informatif et peut même devenir incompréhensible pour le destinataire.
A ce stade de l'analyse, le problème se déplace vers les conditions d'une bonne transmission. Qu'est-ce qui va faire qu'une suite d'unités discrètes d'information va atteindre le destinataire sans être déformée ?
Les conditions à respecter concernent le canal et le message.
Il est la source quasi exclusive du bruit venant interférer avec le message. Sur une ligne téléphonique, ce bruit peut provenir de perturbations atmosphériques -orages,...- ou d'environnement -machines,...-.
Une cause importante de bruit tient également au nombre de relais qui sont nécessaires pour répéter le message, répétition nécessaire pour éviter au message de s'éteindre.
Le message :
Pour pouvoir circuler dans le canal, le message doit être codé à l'entrée puis décodé à la sortie.
On suppose, et c'est là un des postulats les plus discutables de la théorie lorsqu'il va s'agir de communication inter-humaine, que codeur et décodeur sont identiques, c'est à dire participent d'un même langage totalement transparent, univoque et sans ambiguïté.
Cette dernière remarque, survenant après plusieurs autres, conduit à douter de la pertinence du modèle pour représenter correctement la communication inter-humaine, même s'il nous apporte d'utiles instruments d'analyse.
Les fondateurs de la théorie de l'information étaient eux-même conscients de cette limite, contrairement à nombre de leurs épigones.
« On oublie que Claude Shannon et Norbert Wiener ont autrefois démenti spécifiquement que leur théorie soit pertinente du processus de communication humaine.
On oublie que Shannon pensait principalement à la transmission et à l'acquisition de signaux électroniques »
Contre le modèle de l'information, suggéré par la métaphore de la ligne téléphonique et qui réduit la communication inter-humaine à un échange de messages séquentiels à contenu purement digital, le groupe de Palo Alto propose un autre modèle, fondé sur la métaphore de l'orchestre de jazz où dans l'euphorie de l'improvisation, chaque musicien joue en s'accordant en permanence sur les autres.
"Ce modèle de la communication n'est pas fondé sur l'image du téléphone ou du ping-pong -un émetteur envoie un message à un récepteur qui devient à son tour un émetteur- mais sur la métaphore de l'orchestre...Mais dans ce vaste orchestre culturel, il n'y a ni chef ni partition.
Chacun joue en s'accordant sur l'autre".
On ne saurait mieux dire ! La suite de la démarche consistera à tirer toutes les conséquences logiques de cette métaphore.
Dans un tel modèle, l'accent n'est pas mis d'abord sur les acteurs de la communication -destinateur et destinataire car ils se trouvent en perpétuelle interaction et ne peuvent être isolés-, ni sur le message communiqué -car on va voir qu'il est largement insaisissable tant dans sa forme que dans son contenu-, mais sur l'ensemble du système compris comme un réseau indissociable de relations -principe de globalité systémique-.